Newsletter Du 15 Avril Au 19 Avril 2024 | N° 71

MB
Monfrini Bitton Klein
Contributor
Based in Geneva, but borderless in its reach, Monfrini Bitton Klein is a litigation-only Swiss law firm, internationally recognised for asset recovery, business crime and cross-border litigation. We are representatives for Switzerland of ICC-FraudNet, the leading global network of fraud and asset recovery lawyers.
La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurispru-dence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).
Switzerland Criminal Law
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Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 7B_198/2024 du 9 avril 2024 | Perquisition disproportionnée d'un téléphone portable (art. 141 CPP) et refus illicite d'extension du mandat d'office devant le TMC à la
procédure de recours (art. 132 CPP)

  • Le 20 novembre, A. (« Recourant ») a été interpellé par un policier qui a immédiatement procédé à des vérifications sur son téléphone mobile. Selon le rapport d'arrestation, sa messagerie WhatsApp laissait apparaître des échanges avec deux interlocutrices possiblement en lien avec un trafic de cocaïne. Aucun stupéfiant n'a été découvert sur lui. Le Recourant a été conduit au poste de police et son téléphone mobile a été saisi et inventorié. Entre-temps, les deux interlocutrices, ont été identifiées et ont mis en cause le Recourant pour leur avoir livré, par le passé, de la cocaïne.
  • Le 21 novembre 2023, le Ministère public genevois a ouvert une instruction pénale contre le Recourant notamment pour soupçon de participation à un trafic de cocaïne. Le 22 novembre 2023, le Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève (« TMC ») a ordonné la mise en détention provisoire du Recourant pour une durée de 3 mois.
  • Le 23 novembre 2023, ce dernier a demandé sa remise en liberté immédiate. Le 27 novembre 2023, le TMC a refusé cette demande. Le Tribunal fédéral a partiellement admis son recours en tant qu'il portait sur le refus d'étendre à la procédure de recours le mandat d'office de son défenseur, mais l'a rejeté pour le surplus.
  • Le 15 et le 29 décembre 2023, le TMC a derechef refusé la mise en liberté du Recourant. Le Recourant a interjeté recours au Tribunal fédéral contre ces décisions dont les causes ont été jointes.
  • Le Recourant a d'abord soutenu que les soupçons de commission d'infractions ne reposaient que sur l'audition de deux toxicomanes dont l'identification résultait d'une perquisition illégale de son téléphone qui était donc manifestement inexploitable (consid. 3.1).
  • Le Tribunal fédéral a d'abord rappelé qu'il n'appartient pas au juge de la détention de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge et d'apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu, mais uniquement d'examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant cette mesure (consid. 3.2).
  • Notre Haute Cour a ensuite renvoyé à son arrêt 7B_102/2024 du 11 mars 2024 dans lequel elle avait retenu que la fouille de données sur des appareils électroniques tels qu'un téléphone mobile allait au-delà de ce qui était autorisé lors d'un contrôle par la police des objets transportés (consid. 3.4).
  • In casu, le Ministère public n'avait pas ordonné la perquisition du téléphone du Recourant en tant que mesure de contrainte au sens de l'art. 246 CPP et aucune situation de danger imminent n'existait. Il n'y avait notamment pas, lors de l'interpellation du Recourant, d'indices d'un trafic de cocaïne contre lequel était dirigée l'opération de police menée à Genève. La perquisition en tant que telle s'avérait donc disproportionnée et s'apparentait à une « fishing expedition » (consid. 3.4).
  • Notre Haute Cour a néanmoins retenu que les preuves obtenues de cette manière, soit les conversations WhatsApp et les dépositions des deux toxicomanes, n'étaient pas manifestement inexploitables au stade de l'examen de l'existence de sérieux soupçons justifiant la détention provisoire compte tenu de la gravité concrète de l'infraction en question. Cela étant, le Tribunal fédéral a indiqué qu'il appartiendrait au juge du fond de procéder à la pesée des intérêts de l'art. 141 al. 2 CPP, en prenant en considération, d'une part, l'intérêt public à la poursuite d'infractions graves et, d'autre part, l'intérêt privé au respect des droits fondamentaux qui prohibent en particulier le profilage racial et la « fishing expedition » (consid. 3.4).
  • Ensuite, le Recourant a reproché à l'instance cantonale d'avoir refusé d'étendre à la procédure de recours le mandat d'office de son défenseur (consid. 4.1).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé que le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, si l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette dernière question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. Cela vaut aussi lorsque le ministère public a, dans le cadre de la procédure principale, désigné un défenseur d'office au prévenu qui se trouve dans un cas de défense obligatoire (art. 132 al. 1 let. a cum art. 130 CPP). La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est ainsi pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (consid. 4.2).
  • In casu, le Tribunal fédéral a relevé que la cour cantonale n'avait pas examiné la question de savoir si les conditions d'une défense d'office étaient réalisées, au motif que le recours était dénué de chances de succès et que le Recourant n'avait pas prétendu à l'assistance judiciaire. Or, il n'apparaît pas, compte tenu de la perquisition disproportionnée à l'encontre du Recourant lors de son interpellation, que les recours déposés successivement en lien avec sa détention provisoire étaient d'emblée dénués de chances de succès. Il incombait ainsi à la cour cantonale d'à tout le moins interpeller le Recourant sur la question de sa défense d'office, avant de rendre les décisions attaquées (art. 132 CPP) (consid. 4.3 et 4.4).
  • Partant, le recours a été partiellement admis.

TF_839/2023 du 26 mars 2024 | Refus de nomination d'une avocate d'office contraire au droit
(art. 132 CPP

  • Par ordonnance pénale du 13 août 2023, le Ministère public de la République et canton de Genève (« Ministère public ») a condamné A. (« Recourant ») pour vol, utilisation frauduleuse d'un ordinateur, infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEI et infraction à l'art. 19a ch. 1 LStup à une peine privative de liberté de 120 jours, sous déduction de 2 jours correspondant à 2 jours de détention avant jugement, ainsi qu'à une amende de CHF 500.-. Le 14 août 2023, le Recourant a formé opposition, demandant simultanément d'être mis au bénéfice d'une défense d'office. Par ordonnance rendue le 23 août 2023, le Ministère public a refusé d'ordonner une défense d'office en faveur de A.
  • Le Recourant a reproché à la Chambre pénale de recours genevoise une violation des art. 132 CPP et 6 CEDH, estimant que la nomination d'un avocat d'office serait nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts (consid. 2.1).
  • L'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur d'office aux conditions que le prévenu soit indigent et que la sauvegarde de ses intérêts justifie une telle assistance. S'agissant de la seconde condition, elle s'interprète à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, les intérêts du prévenu justifient une défense d'office notamment lorsque la cause n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP). En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (art. 132 al. 3 CPP).
  • La Chambre pénale genevoise avait retenu, en substance, qu'au vu de la peine concrètement encourue par le Recourant, la cause ne dépassait pas le seuil de gravité de l'art. 132 al. 3 CPP. Selon elle, les faits et dispositions applicables étaient clairement circonscrits et ne présentaient aucune difficulté de compréhension ou d'application (consid. 2.4).
  • Le Tribunal fédéral n'a pas suivi cette appréciation. S'agissant de la gravité de la cause, il a relevé que le Recourant avait fait l'objet, en sus de l'ordonnance pénale du 13 août 2023, d'une autre ordonnance pénale l'ayant condamné à 90 jours de peine privative de liberté, de même qu'il avait été mis au bénéfice d'un sursis antérieur portant sur une peine de 80 jours amendes. De ce fait, le tribunal de première instance était susceptible de prononcer une peine supérieure à quatre mois d'emprisonnement (art. 132 al. 3 CPP, cum art. 356 al. 1 et 326 al. 1 let. f CPP) (consid. 2.5).
  • A cela s'ajoutait le fait que la cause n'était pas dépourvue de toute complexité. En effet, au vu de la pluralité d'ordonnances pénales et d'infractions commises, les règles sur le concours (art. 49 CP) et la jurisprudence y relative allaient devoir s'appliquer. Or, celles-ci ne sont pas simples à comprendre pour une personne non-juriste (consid. 2.5).
  • Quant à la difficulté de la cause, il fallait prendre en considération le fait que le Recourant, ressortissant algérien, présent en Suisse depuis 2018 environ, se déclarait, au moment de l'arrêt entrepris, sans revenu et sans attache avec la Suisse, consommant régulièrement de la cocaïne (consid. 2.5).
  • S'agissant de la condition de l'indigence, le Recourant déclarant percevoir désormais un revenu mensuel de CHF 500.- et être aidé par des amis pour le paiement de son loyer, il convenait d'admettre qu'il ne disposait pas des moyens nécessaires à la rémunération d'un défenseur d'office (consid. 2.5).
  • Dès lors, en refusant de désigner un défenseur d'office au Recourant, la dernière instance cantonale a violé le droit fédéral (consid. 2.6).
  • Partant, le recours a été admis et l'arrêt attaqué réformé avec la nomination d'office de l'avocate du Recourant à partir du 14 août 2023.

TF 6B_178/2024 du 27 mars 2024 | Violation des garanties constitutionnelles en procédure d'appel et du principe de bonne foi en cas de non-respect des assurances données par les autorités (art. 6 ch. 1 CEDH, art. 5 al. 3 Cst., 29 al. 2 Cst., art. 406 CPP)

  • Le 21 novembre 2019, A. (« Recourant ») est condamné pour violation des règles de la circulation, entrave aux mesures visant à déterminer l'incapacité de conduire et comportement contraire aux devoirs en cas d'accident. Le Recourant a interjeté un appel dans le délai imparti, en demandant l'annulation de la décision et son acquittement.
  • Après avoir classé la procédure le 23 novembre 2021, suite au retrait de l'appel pour absence non excusée à l'audience, la Cour d'appel du canton de Bâle-Ville (« Cour d'appel ») a accepté, le 14 septembre 2023, la demande de restitution de la date manquée du Recourant. Par arrêt du 18 janvier 2024, la Cour d'appel a confirmé la condamnation du Recourant.
  • Le Recourant a interjeté un recours en matière pénale demandant l'annulation de la décision pour violation des art. 5 al. 3 Cst., art. 29 al. 2 Cst. et 6 ch. 1 CEDH. Il a fait valoir que la Cour d'appel aurait, en vue de la répétition de l'audience d'appel, garanti l'oralité de la procédure et réservé le passage à la procédure écrite à une communication ultérieure sur ses modalités pratiques. Toutefois, sans revenir sur ces assurances, la Cour d'appel a rendu l'arrêt d'appel en procédure écrite.
  • Le Tribunal fédéral a commencé par rappeler que la procédure d'appel est en principe orale. On ne peut y renoncer que dans des cas simples et lorsque les auditions ne sont pas nécessaires. La procédure ne peut pas être menée par écrit lorsque des questions de fait sont contestés, à moins qu'il ne s'agisse de cas régis par l'art. 406 al. 2 CPP. Le consentement à la procédure d'appel écrite ne peut pas remplacer les conditions légales de l'art. 406 al. 2 let. a et b CPP, mais s'ajoute à celles-ci. Il appartient à l'instance d'appel d'examiner d'office si les conditions pour la mise en Suvre de la procédure écrite sont remplies. Par ailleurs, l'art. 406 CPP étant une disposition de nature potestative, la juridiction d'appel doit examiner la compatibilité de la renonciation à l'audience publique à l'aune de l'art. 6 ch. 1 CEDH (consid. 2.1).
  • Les parties ont le droit d'être entendues (art. 29 al. 2 Cst et l'art. 6 ch. 1 CEDH) et le principe de la bonne foi impose un comportement loyal et digne de confiance. Il confère à une personne le droit de faire confiance à une assurance, un renseignement ou un autre comportement de l'autorité (consid. 2.2).
  • In casu, le 20 juillet 2020, après l'appel interjeté par le Recourant, la direction de la procédure de la Cour d'appel avait ordonné des débats oraux. Cependant, comme le Recourant ne s'était pas présenté à l'audience d'appel, la procédure d'appel a été classée comme étant sans objet (art. 407 al. 1 let. a CPP). Par la suite, le Recourant a demandé la restitution de de la date manquée, puis a spontanément écrit à la direction de la procédure, le 21 juin 2023, pour expliquer que le jugement d'appel pourrait également se faire par la voie écrite. Le 5 septembre 2023, la direction de la procédure a décidé que la procédure se déroulerait par écrit et sans audience des parties. Le 14 septembre 2023, la Cour d'appel a rendu une décision admettant la restitution du délai, la répétition des débats d'appel en présence du Recourant et a réservé le passage à une procédure écrite et ses modalités d'exécution à une décision ultérieure. Finalement, le 18 janvier 2024, la Cour d'appel a rendu son arrêt sans aucune suite et aucune motivation en procédure écrite (consid. 3).
  • Notre Haute Cour a considéré que l'instruction de même que les décisions judiciaires étaient arbitraires quant à la conduite de la procédure. Le dispositif de la décision du 14 septembre 203 était clair et sans équivoque : « Die Berufungsverhandlung wird in Anwesenheit des Beschwerdeführers wiederholt. Der Wechsel ins schriftliche Verfahren bleibt vorbehalten. Die Verfügungen betreffend die Modalitäten folgen später ». Sur la base de ces promesses judiciaires, le Recourant pouvait s'attendre à la tenue d'une audience d'appel orale en sa présence. En tout état de cause, il était en droit d'attendre de bonne foi d'être informé sur les modalités ultérieures de la procédure, dans le respect de son droit d'être entendu – comme cela lui avait été promis. Au contraire, la Cour d'appel a rendu son jugement sur le fond le 18 janvier 2024 et ce contrairement à ses assurances et sans avoir au moins accordé au Recourant le droit d'être entendu ou même un délai pour déposer une requête écrite. In fine, le Tribunal fédéral a souligné que le fait que le Recourant se soit préalablement positionné en faveur d'une procédure écrite n'était pas pertinent dans l'analyse des assurances données par l'autorité (consid. 4).
  • Partant le recours a été admis.

TF 6B_1323/20231 du 11 mars 2024 | Discrimination, incitation à la haine (art. 261bis al. 1 CP) et fixation de la peine

  • Le 27 septembre 2023, A. (« Recourant ») a été condamné par le tribunal cantonal vaudois à une peine privative de liberté de 60 jours pour diffamation et incitation à la haine en raison de l'orientation sexuelle (art. 261bis al. 1 CP). Le Recourant a notamment qualifié la journaliste B. de « militante [...] queer [qui] veut dire, je crois, désaxé. Donc je pense qu'entre ma vision du monde et celle d'une grosse lesbienne militante pour les migrants, je pense que je suis plus, moi, un combattant pour la paix, la fraternité et l'âme suisse [...] ».
  • Le Tribunal fédéral a d'abord énoncé que cette disposition vise à protéger la dignité des personnes et indirectement la paix publique. La notion d'incitation englobe le fait d'attiser des émotions de manière à susciter la haine et la discrimination, même en l'absence d'une exhortation très explicite. L'auteur doit agir publiquement par des paroles, des écrits, des gestes ou des voies de fait. L'infraction est intentionnelle, le dol éventuel pouvant suffire. Déterminer le contenu du message relève des constatations de fait, mais son interprétation ressort de l'application du droit fédéral. Il s'agit de rechercher le sens qu'un destinataire non prévenu doit conférer aux expressions utilisées, compte tenu de l'ensemble des circonstances pertinentes, soit, notamment, la personne dont émane le message et celles qui sont visées. L'art. 261bis CP doit toutefois être interprété à la lumière des principes régissant la liberté d'expression, en ce qu'il est essentiel que même les opinions qui déplaisent à la majorité ou qui la choquent puissent être exprimées et que les propos tenus, dans un débat politique par exemple, ne soient pas appréhendés de manière strictement littérale, les simplifications et les exagérations étant usuelles dans ce domaine (consid. 1).
  • Le Tribunal fédéral n'a pas estimé que l'interprétation des propos du Recourant par l'instance inférieure était contraire au droit fédéral. Celle-ci a en effet retenu que ce dernier visait bien l'orientation sexuelle de B. par sa critique et les termes « queer » et « grosse lesbienne », et non son militantisme. La cour cantonale a par ailleurs retenu le caractère méprisant des propos, en ce qu'ils étaient outranciers et rabaissants. Par ailleurs, le fait d'inclure une image photo-portrait de B. sous la vidéo incriminée, offrant aux internautes une figure concrète sur laquelle déverser leur mépris tendait à éveiller et à exciter un sentiment de haine homophobe, bien que la démarche n'ait pas été explicite. La cour cantonale était en sus fondée à tenir compte, dans son appréciation, des commentaires publiés par des tiers en réaction à l'entretien filmé du Recourant afin d'établir la signification du message incriminé du point de vue d'un tiers moyen (consid. 2).
  • Le Tribunal fédéral n'a pas non plus infirmé la prise en compte des antécédents judiciaires du Recourant en matière d'incitation à la haine en France pour établir l'élément subjectif de l'infraction consid. 3).
  • Quant au grief de la liberté d'expression, notre Haute Cour a estimé que l'ingérence dans l'exercice, par le Recourant, de son droit à la liberté d'expression, était nécessaire dans une société démocratique. En effet, son discours correspondait bien plus à une attaque personnelle gratuite à l'encontre de personnes définies par leur orientation sexuelle qu'à l'expression d'une opinion sur des questions d'intérêt public. Il ne relève ainsi nullement du débat politique ou d'un débat d'intérêt général dans lequel la critique doit être plus largement admise (consid. 4).
  • Enfin, le Tribunal fédéral a admis le recours sur le point de la fixation de la peine. La condamnation du Recourant pour diffamation à une peine pécuniaire de 30 jours-amende prononcée en première instance n'avait pas été remise en cause dans l'appel du ministère public, si bien qu'elle était entrée en force. Il en résulte que la cour cantonale n'était pas autorisée à prononcer une nouvelle peine pour cette infraction, ce point du jugement n'ayant pas été attaqué (art. 404 cum 399 al. 4 et art. 402 a contrario CPP). Par ailleurs, la peine prononcée par la cour cantonale avait également violé le droit fédéral sous l'angle du type de la peine, en ce que la diffamation ne peut être punie que d'une peine pécuniaire, et non d'une peine privative de liberté (art. 173 CP) (consid. 7).
  • Partant, le recours a été partiellement admis.

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

TF 6B_978/2023 du 11 mars 2024 | Audition des parties plaignantes par questionnaire sans confrontation (art. 145 CPP) et négation de la coresponsabilité des victimes dans le cadre d'une escroquerie par métier (art. 178ss CPP, art. 141 al. 2 CPP, art. 146 CP)

  • Le 27 octobre 2021, le Kriminalgericht du canton de Lucerne a condamné A. (« Recourant ») à une peine privative de liberté de 6 ans et 2 mois pour escroquerie par métier et faux dans les titres à plusieurs reprises. La décision a été confirmée en appel le 3 avril 2023. Le Recourant a interjeté un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral.
  • Premièrement, le Recourant s'est plaint de la violation des art. 180 al. 2 CPP cum 141 al. 2 CPP : la plupart des personnes lésées n'avaient été interrogées sur les faits que dans le cadre d'un questionnaire du ministère public et il leur avait été indiqué dans ce contexte qu'elles n'étaient pas tenues de répondre aux questions. Ce même jour, 15 personnes s'étaient constituées parties plaignantes. Sur cette base, elles étaient tenues de témoigner en raison de leur statut. En raison de la fausse information sur leurs droits et obligations, leurs déclarations devaient être considérées comme inexploitables (consid. 1).
  • Le Tribunal a fédéral a commencé par rappeler la portée du statut de la personne appelée à donner des renseignements (art. 178 et 179 CPP) laquelle est tenue de déposer devant le Ministère public, les tribunaux et la police qui l'interroge sous mandat du Ministère public. Leurs droits et obligations doivent leurs être rappelés en début d'audition (consid. 1.1.1).
  • Notre Haute Cour a par ailleurs souligné que les preuves recueillies en violation de ces dispositions sont inexploitables, à moins que leur exploitation ne soit indispensable à l'élucidation d'infractions graves (art. 141 al. 2 CPP) (consid. 1.1.2).
  • In casu, il n'y avait pas eu d'interrogatoires personnels, mais uniquement des rapports écrits rédigés sur la base de la volonté des comparants (art. 145 CPP). Le Tribunal fédéral a souligné que cette procédure peut être indiquée dans l'intérêt d'une poursuite pénale efficace et en particulier dans les cas de délits de masse impliquant un grand nombre de lésés comme en l'espèce. Il en découle que les dispositions légales invoquées ne sont pas pertinentes. Dès lors, le Tribunal fédéral a retenu qu'il n'y avait pas eu de violation d'une disposition légale de validité qui entraînerait l'inexploitabilité des preuves recueillies sur la base de l'art. 141 al. 2 CPP (consid. 1.2.1).
  • Deuxièmement, le Recourant a soutenu que l'état de fait avait été établi de façon insuffisante du fait qu'il n'avait pas été confronté aux victimes (consid. 2).
  • Les parties ont le droit d'être entendues (art. 3 al. 2 let. c CPP). Cela inclut le droit d'interroger des témoins à charge (art. 147 al. 1 CPP ; art. 6 ch. 3 lit. d CEDH). En principe, un témoignage à charge n'est utilisable que si l'accusé a eu au moins une fois au cours de la procédure une possibilité adéquate et suffisante de mettre en doute le témoignage et de poser des questions au témoin à charge. Toutefois, il est possible de renoncer expressément ou tacitement à la participation aux auditions et la renonciation peut même provenir du défenseur du prévenu (consid. 2.1.1).
  • In casu, l'autorité précédente avait retenu, à juste titre, que le Recourant n'avait jamais contesté au cours de la procédure les informations recueillies auprès des lésés et n'avait pas demandé auparavant une confrontation formelle avec eux. Dans ce contexte, il fallait partir du principe que le Recourant représenté par un avocat avait valablement renoncé à une confrontation avec toutes les parties lésées (consid. 2.2.2).
  • Troisièmement, le Recourant a contesté l'appréciation juridique de l'escroquerie (art. 146 CP) en ce que l'élément constitutif du dol faisait défaut, en particulier, chez les victimes B. et C. en raison de leur coresponsabilité (consid. 4).
  • Notre Haute Cour a rappelé que le moyen d'action de l'escroquerie est la tromperie, qui se définit comme une déclaration inexacte sur des faits, par laquelle on agit sur l'imagination d'autrui. Le dol est en outre requis. Ce dernier n'est pas admis lorsque la personne trompée aurait pu éviter l'erreur avec un minimum d'attention et ceci même dans la configuration de la coresponsabilité de la victime. Selon la jurisprudence, la caractéristique du dol est remplie lorsque l'auteur appuie ses fausses déclarations sur des documents falsifiés (art. 251 CP). Le dol est exclu si les documents présentés comportent des indices sérieux sur leur inauthenticité. D'un point de vue subjectif l'intention d'enrichissement illégitime doit être donnée (consid 4.1.1).
  • L'infraction d'escroquerie en série est donnée lorsque l'auteur agit souvent selon le même modèle, le modèle d'action étant prévu pour un groupe de victimes. Lorsque le mode opératoire des cas individuels n'est pas seulement similaire mais identique, il n'est pas nécessaire d'examiner les différents actes de tromperie, dans la mesure où le mode opératoire s'avère dolosif pour toutes les victimes sur la base du modèle d'action (consid 4.1.2).
  • In casu, le Recourant avait établi une stratégie d'investissement mensongère à l'aide de faux documents et graphiques, promettant des rendements pour l'avenir. Pour l'essentiel, il avait toujours procédé selon le même modèle lors de la prospection d'investisseurs en s'écartant légèrement et à des rares reprises de cette constellation. C'est donc à juste titre que l'instance cantonale avait retenu un délit en série (consid. 4.2.1).
  • Le Tribunal fédéral a en outre rejeté une coresponsabilité des victimes. Le Recourant avait fait valoir que certaines d'entre elles avaient eu accès en ligne à leur propre compte et auraient dû s'apercevoir de l'artifice ou que certains lésés avaient versés de l'argent sur des comptes de transit qui n'étaient pas à leur nom. Notre Haute Cour a considéré que c'était à juste titre que l'instance inférieure avait retenu ces aspects insuffisants à l'établissement d'une coresponsabilité. Par ailleurs, le passé commercial des personnes lésées et une certaine expérience des opérations de placement ne justifiaient pas une imprudence, au vu de l'édifice de mensonges créé par le Recourant. Le dol avait donc valablement été retenu (consid. 2.2.2).
  • Partant le recours a été rejeté.

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 4A_636/2023 du 8 mars 2024 | Transmission de la qualité de débiteur de contributions d'entretien par succession et titre de mainlevée définitive de l'opposition d'un jugement de divorce de 1993 (art. 80 al. 1 LP)

  • Sur la base d'un jugement de divorce du 24 mars 1993, le Bezirksgericht zurichois a accordé la mainlevée définitive de l'opposition à B. pour un montant de CHF 41'593.50 avec intérêts. Le 12 avril 2023, l'Obergericht zurichois a rejeté le recours de A. (« Recourante ») contre cette décision.
  • Le jugement de divorce sur lequel s'est fondé la mainlevée approuvait une convention dans laquelle C. (« Défunt ») s'engageait à verser à B. des contributions d'entretien indexées de CHF 12'000.- par mois. Selon cette convention, ce droit à l'entretien était transmissible par succession, tel que le permettait le droit en 1993 (consid. 3.1).
  • Les transactions ou reconnaissances passées en justice sont assimilés à des jugements et permettent à leur détenteur de requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition (art. 80 al. 1 cum 80 al. 2 ch. 1 LP), pour autant qu'elles obligent le débiteur à payer définitivement une prestation pécuniaire déterminée. Le tribunal de la mainlevée ne peut pas interpréter une convention sur le fond, mais doit néanmoins examiner si elle oblige le débiteur de manière claire et définitive à payer une somme d'argent déterminée et si elle peut constituer un titre de mainlevée définitive (consid. 2).
  • L'instance inférieure avait exposé que les jugements de divorce étaient des jugements formateurs pour lesquels il n'était en principe pas possible d'accorder la mainlevée. Toutefois, cela ne s'appliquait qu'au principe du divorce et non à l'obligation d'entretien. En ce sens, le jugement de divorce du 24 mars 1993 constituait un titre de mainlevée définitive dont l'objet n'était, ni éteint, ni reporté, ni prescrit. Sur la base de l'indexation prévue, il en résultait une contribution d'entretien de CHF 13'864.50.- par mois. La mainlevée définitive devait donc être accordée (consid. 3).
  • La Recourante a d'abord reproché à l'instance inférieure d'avoir violé l'art. 80 al. 1 LP en ce qu'elle avait, certes, examiné d'office la validité formelle du prétendu titre de mainlevée, mais sans vérifier ni l'exactitude du contenu du jugement de divorce de 1993, ni si cette décision était exécutoire. Le Tribunal fédéral a néanmoins confirmé que la procédure de mainlevée était une pure procédure d'exécution, et que l'instance précédente n'avait pas à se pencher sur l'exactitude matérielle du jugement de divorce (consid. 4.1).
  • La Recourante a également fait grief à l'instance inférieure d'avoir retenu, sans plus ample analyse, sa légitimation passive dans cette procédure. L'Obergericht zurichois a en effet soutenu que la Recourante était incontestablement, et tel qu'elle l'a reconnu, l'unique héritière du Défunt, et qu'en tant qu'héritière universelle, elle aurait repris l'obligation d'entretien de ce dernier. Le Tribunal fédéral a rejoint l'instance inférieure en ce que la Recourante avait elle-même reconnu qu'elle était l'unique héritière du Défunt. Après avoir considéré à juste titre que l'exactitude matérielle du jugement de divorce de 1993 ne pouvait pas être vérifiée dans la procédure de mainlevée, l'instance précédente avait donc valablement pu se baser sur la position de la Recourante en tant qu'unique héritière et admettre sans autre sa légitimation passive (consid. 5.2).
  • Partant, le recours a été rejeté.

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

-

Footnote

1. Destiné à publication

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Newsletter Du 15 Avril Au 19 Avril 2024 | N° 71

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